Man in Wood

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chapter - Eva and Ade

Friday 4 June 2010

Les Dernières Nouvelles d'Alsace

Critique parue dans DNA reflets
nadine
un film de Ian Simpson
avec Lisa Jane Gregory
GB - 2007 - 1 h 15 - VOST


Nadine des esprits

Nadine, deuxième long-métrage de Ian Simpson, un Britannique établi à Strasbourg, entend selon son réalisateur « raconter l’histoire et l’existence solitaire d’une adolescente à travers un récit réaliste et dépouillée ». Ce pitch, comme on jargonne dans les professions de l’audiovisuel, n’est qu’à moitié exact.

Dans les quartiers les moins favorisés du sud de Londres, on y suit le quotidien de cette Nadine fragile, tangente, instable, qui tente désespérément de trouver une raison de survivre entre une mère méchamment hostile, un beau-père abusif et probablement fasciste, un petit ami défoncé, au centre de tous les sévices sexuels et agressions verbales ou physiques qu’on attache à celle qui serait, de notoriété publique, « la pute du quartier ». Nadine promène, le long des rues dévastées, en bordure de voies rapides et de barres d’immeubles grisâtres, sensiblement plus qu’un spleen existentiel : la violence sociale dans toute sa brutalité, cristallisée dans un noir et blanc somptueux et glaçant, nappée parfois d’une suite pour violoncelle de Bach.

Cette pure chronique sociale est à vrai dire la part la moins réussie du film de Ian Simpson : parce qu’il faut, face à ce genre de sujet, choisir son point de vue, et s’y tenir avec une grande résolution. Il y a autour de Nadine, dans ces cadres impeccablement (su)composés et dans cette velléité d’y introduire un peu de transcendance, trop de beauté formelle, ou peut-être de coquetterie, pour que la force du propos n’en pâtisse pas. Est-il bien nécessaire de passer l’image au filtre rouge lorsque Nadine tente pour la énième fois de s’ouvrir les veines ?
Faut-il comprendre que Nadine serait un film raté ? Pas du tout. D’abord parce que la densité de ses comédiens, pour la plupart non-professionnels, suffit presque à elle seule à emporter l’empathie, à donner le ton juste. Mais aussi, mais surtout parce que Ian Simpson offre à sa pauvre héroïne, et au spectateur, de splendides respirations oniriques : au milieu de tout ce désastre urbain, sans explications aucun, apparaissent soudain des troupeaux entiers de biches et de cerfs. Une forêt frémit au vent du soir. Deux bad boys s’y métamorphosent à vue en mendiants magnifiques paraissant sortis des contes de Chaucer. Le film bascule, comme si La Nuit du chasseur s’invitait coeur d’un documentaire sur le nouveau lumpenproletariat du blairisme.

La beauté qui se révèle à ces instants n’a rien à voir avec celle, toujours un peu frelatée, de l’émotion fabriquée. C’est celle, irradiante, d’un regard exact sur ce qui est, et sur ce qui est derrière ce qui est. Il faut faire, pour ses films suivants, confiance dans le cinéaste Ian Simpson.

Jérôme Mallien

Cinéma l’Odyssée - 3 rue des Francs Bourgeois - Strasbourg - 03 88 75 10 47

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